Alice
Arthur s'était lancé sur la trace d'Alice. Elle s'était cachée depuis
au moins deux minutes ou peut-être cent. Il ne savait pas vraiment.
La petite fée allait bien trop vite pour lui et il l'avait perdue de vue.
Mais, trop intrigué par l'être magique qui s'était présenté à lui, il
continuait. Il suivait les traces de petites paillettes roses sur les
arbres, se disant que seule une créature merveilleuse aurait pu les
y laisser.
Cela faisait deux jours qu'il avait disparu, ou peut-être trois
maintenant qu'il était minuit, elle ne savait pas vraiment comment
compter. Comment compte-t-on les jours où son enfant a disparu ?
Son petit Arthur lui manquait tant. Elle sentait ses vêtements pour
retrouver son odeur. Mais non, elle ne pouvait pas se laisser aller,
agir comme s'il n'y avait plus d'espoir. Les recherches s'étaient
arrêtées à la nuit tombée. Elle continuerait jours et nuits s'il le
fallait. Elle enfila un jean, un pull bien chaud, une grosse
doudoune, ses chaussures de randonnées et pris une lampe torche
dans laquelle elle mit des piles neuves. Elle était impatiente de
retrouver son fils et de le serrer enfin dans ses bras. Elle se lança
donc à l'assaut de la nuit.
Le soleil déclinait lentement. Il faisait de plus en plus sombre dans
la forêt. Il faisait de plus en plus froid aussi. Le petit corps
d'Arthur tremblait de froid ou peut-être d'effroi. L'obscurité faisait
apparaître les monstres qui, d'habitude, grâce à sa maman,
restaient bien loin de lui. Et cela faisait longtemps qu'il n'avait pas
vu la petite Fée. Il suivait religieusement les traces pailletées sur
les arbres, mais commençait à douter que cela le mène quelque
part.
Le soleil commençait à se lever, lorsque Julie décida qu'il était
temps de rentrer. Elle avait erré dans les bois toute la nuit, suivant
le ruisseau comme elle l'avait appris à Arthur. Mais rien, aucune
trace de son petit garçon. Elle l'avait imaginé mille fois transit de
froid dans sa petite doudoune rouge, en proie à des monstres
imaginaires. Cela lui était si douloureux. À son retour, devant
chez elle, des gendarmes l'attendaient. Elle faillit s'effondrer à
l'idée du pire qu'ils pourraient lui annoncer. Mais non, ils étaient
simplement venus reposer inlassablement les mêmes questions et
lui rappeler comme un terrible présage l'axiome de 24 h de
disparition. Ce seuil critique à partir duquel les chances de
retrouver l'enfant vivant se raréfient. Puis les recherches reprirent,
mais sans Julie, qui fut priée d'aller se reposer. Mais comment
dormir en imaginant le pire pour son fils ?
Arthur avait tenu bon dans le froid. La petite fée était revenue et
lui avait donné une grosse couverture bien chaude. La nuit avait
été agitée et inconfortable, mais il était parvenu à dormir. À
présent, il avait faim, une faim de loup ! Alors il suivit les petites
traces que la créature avait laissées, se disant qu'elle cherchait
surement de quoi manger elle aussi. Et son instinct fut bon. Les
paillettes le conduisirent à des fraises des bois. Et comme il en
raffolait, il en mangea au moins mille!
Julie était finalement parvenue à s'endormir. Un sommeil fait de
cauchemars. Sa maman était venue d'Albi pour la soutenir dans
cette douloureuse épreuve. Et comme lorsque Julie était enfant,
Evelyn lui avait préparé son petit déjeuner préféré, du pain perdu.
Mais la jeune maman n'avait pas faim. Elle avala difficilement
une ou deux bouchées avant de repousser son assiette. Evelyn,
impuissante, ne put que prendre son enfant dans ses bras.
Le petit garçon pleurait un peu, il avait tout sali son beau jean
avec les fraises. Alors la fée s'approcha lentement pour ne pas
l'effrayer et le prit doucement dans ses bras. Elle chuchota des
choses qui n'avaient de sens que pour Arthur et les sanglots de
l'enfant finirent par se calmer. Alors la fée reprit sa course
effrénée dans la forêt et le petit garçon la suivit.
La nuit tombait de nouveau. Une nuit où son fils était une fois de
plus seul dehors, seul dans le froid, seul dans la peur. Les
recherches s'étaient à nouveau arrêtées pour la nuit. Alors Julie
décida de continuer de son côté. Mais cette fois, elle n'était pas
seule, Evelyn, sa mère, l'accompagnait. Elles décidèrent de se
séparer pour couvrir un plus grand périmètre. Julie, au bout de
quelques mètres, découvrit des traces foncées à hauteur d'enfant
sur les arbres. Des traces qui ressemblaient à du sang.
Arthur continuait de suivre les paillettes sur les arbres, mais il en
avait assez. Il était fatigué, il voulait sa maman. Il songeait de plus
en plus à faire demi-tour et à rentrer. Mais il voulait d'abord revoir
la fée, lui dire au revoir. Alors il appela Alice, fort, très fort, aussi
fort qu'il le pouvait. Et derrière une butte, il vit la cabane. Une
cabane dans laquelle il vit la Fée, si belle, si lumineuse. Il dévala
la petite colline. Il mit de la boue sur ses vêtements sans craindre
de se faire gronder, car il avait enfin trouvé l'endroit magique
promis par la fée. Arrivé à la cabane, il demanda à la créature de
lui ouvrir, mais personne ne vint. Il tenta lui-même d'entrer. Il n’y
avait rien à faire ; le réel s’entêtait et la porte ne daignait pas
s’ouvrir. Il fallait renoncer quand soudain elle céda sous son
poids. Il s'effondra sur le sol, se fit un peu mal, mais la douleur
fut vite remplacée par l'émerveillement. À l'intérieur, des
montagnes de jouets et de trésors se présentaient à lui. Et une
délicieuse odeur sucrée de bonbons lui chatouillait les narines. Il
se précipita sur la table où les bonbons se trouvaient et en
engloutit jusqu'à avoir mal au ventre. Puis son regard fut attiré par
un coffre qui ressemblait fort à un coffre au trésor. Il l'ouvrit et,
parmi les choses qui brillaient, il remarqua un collier en perles de
nacre, comme celui que sa maman voulait tant lors de leurs
vacances. Alors il s'en saisit et prit quelques autres jouets, puis il
voulut repartir, mais la porte était fermée.
Les traces ensanglantées avaient réveillé quelque chose chez Julie.
Son cœur battait plus fort, sa respiration était plus rapide et elle
était à la fois mue par une énergie nouvelle et incapable de bouger.
En réalité, elle était terrorisée. Ce sang appartenait-il à son fils ?
Non, c'était impossible, Arthur était vivant et en bonne santé !
Elle le sentait au fond d'elle où elle voulait le sentir. Soudain, son
corps se réactiva et elle se mit à courir en suivant les marques.
Elle hurlait le nom de son petit garçon dans les bois puis fini par
tomber sur une vieille cabane effrayante, comme dans les films
d'horreur. Tout était sombre et poussiéreux à l'intérieur.
Impossible de voir ce qui s'y trouvait. Elle appela Arthur à
nouveau, pas de réponse. Elle s'approcha de l'entrée d'où se
dégageait une odeur capiteuse de pourri. Elle poussa lentement
la porte et hurla. Devant elle, un cadavre recouvert d'une
minuscule doudoune rouge. La doudoune de son fils ! Son fils !
Elle se précipita sur le petit corps d’Arthur. Soudain, elle entendit
un bruit. Elle regarda autour d'elle. Le visage inondé de larmes et
emprunt à la terreur, elle le vit recroquevillé, sous une table
poussiéreuse. Il se balançait sur lui-même, comme absent. Elle
murmura son nom et s'approcha doucement comme près d'un
animal sauvage. C'était son fils, son fils bel et bien vivant. Qui
était l'autre enfant ? Elle l'ignorait et elle n'y pensait même plus,
elle avait retrouvé son petit garçon. Il sortit de sous la table, elle
s'approcha prudemment et Arthur glissa le collier de perles dans
les mains de sa maman. Elle tenta de le prendre dans ses bras,
mais il hurla et se cacha dans une vieille malle vide. Alors elle lui
parla.
« Je sais que tu as peur, Arthur, mais maman est là, je vais te
protéger. » Il faut que l’on sorte maintenant et que l’on rentre à la
maison. »
Alors il sortit de la malle et ensemble, main dans la main, ils
quittèrent cet endroit cauchemardesque et commencèrent leur
périple dans la forêt.
« Et Alice ? » demanda Arthur.
« Qui est Alice, mon chaton ? »
Il ne répondit pas.
Ce fut la dernière fois que Julie entendit la voix de son fils.
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